A comme Arthur
















Partons d'une triste double page du registre de l'état civil de Nogent sur Seine.


A gauche le décès d'un enfant mort-né. Et quelques heures plus tard, c'est Augustine, sa mère, qui décède. Elle a déjà deux enfants, Eugène et Arthur. Et à la mort de ce nourrisson, en février 1854, elle n'a que 29 ans. Avant son mariage avec François Lauxerrois, cordonnier de son état, elle habitait un petit bled près de Nogent et elle était domestique. Sa famille, les Beauland, ce sont des journaliers (mais propriétaires) qui habitent dans un hameau, La Borde, rue de Paradis. Elle est peut-être l'aînée. Une de ses sœurs, Xaverine (ça ne s'invente pas) est couturière.
François a le même âge qu'elle. Ils se sont mariés le 8 juillet 1847. Et seulement 9 mois et quelques jours plus tard, naît Eugène. Le père de François est mort en avril 1848, sa mère, Reine, vit avec le jeune couple dans la petite maison de la rue Basse du Champ Calot que j'ai toujours et que certains ici connaissent. Puis va naître Arthur dont je vais vous raconter ce que je sais de sa vie.
Je trouve touchante la signature de François, bien appliquée, "Lauxerrois", il est venu voir l'officier d'état civil avec son voisin jardinier, Auguste Juillet, pour déclarer la mort du petit, la veille à trois heures du soir, puis l'officier a enregistré une heure plus tard la mort d'Augustine la veille à dix heures du soir...
Malgré ses enfants en bas âge, 6 et 2 ans, il ne se remariera pas très vite comme le font en général les veufs à cette époque-là, il attendra 1862, huit années, et convolera alors avec mon arrière-arrière-grand-mère, Marie-Jeanne le Marec. On peut penser qu'Augustine était difficile à oublier...

Si Eugène est né en 1848, Arthur, lui, est né 4 ans plus tard, en 1852 et il vit dans la petite maison de la rue basse du Champ Calot, à Nogent-sur-Seine, entre son père, sa grand-mère et sa mère jusqu’au jour fatal de 1854.

Bref, il perd sa mère à l’âge de 2 ans. C’est donc sans doute Reine, sa grand-mère qui l’a en grande partie élevé dans ses premières années : elle décèdera quand il aura 14 ans. Entre temps, son père s’est remarié avec Marie-Jeanne Le Marec en 1862. Arthur a 10 ans. Un premier demi-frère naît en 1863, mais il meurt à 1 mois. Une demi-sœur, Clémentine, arrive en 1865, puis un petit Léon (mon arrière-arrière-grand-père) en 1867. L’écart d’âge entre les enfants est important. Arthur n’a que 18 ans de moins que sa belle-mère mais 15 ans d’écart avec son frère Léon. Compliqué sans doute de trouver sa place, sans pouvoir vraiment compter sur Eugène, le frère aîné, jamais là.


1870 doit sans aucun doute marquer Arthur : Eugène a disparu à la guerre puis on a appris qu'il était mort en héros. Comment rivaliser ?
Evidemment, je n’ai pas de journal intime d’Arthur, ni hélas de lettres familiales. Par contre, le jeune Arthur figure plusieurs fois dans le journal local, L’Echo nogentais, et j’y lis la volonté de se faire remarquer. Début 1862, Arthur est distingué : il remporte le 2e prix pour la récitation des prières. Deux ans plus tard, il est 2e en « composition d’écriture ».

Plus intéressant encore, en 1867, il reçoit un prix. En effet, l’empereur Napoléon III a lancé une grande campagne depuis 1865 pour l’ouverture dans tout le pays de cours pour adultes. Et Nogent-sur-Seine a suivi le mouvement. Grâce à ces cours animés par les instituteurs, certains sortent de l’analphabétisme, mais pour d’autres, comme Arthur (puisqu’il avait déjà eu des distinctions scolaires), ces cours permettent de continuer les études, de se perfectionner et de progresser.
Et donc Arthur est un des lauréats de la troisième division en mars 1867.


En 1872, Arthur a 20 ans. Au recensement, on ne le voit plus à la maison où il n’y a plus que les parents, ainsi que Clémentine (7 ans) et Léon (4 ans). Où est-il ? Il faudrait que je cherche encore mais il est sans doute toujours dans le canton. Car c’est encore le journal, à la date du 3 avril 1873, qui nous dit qu’il fait partie des conscrits de 1872. Arthur n’a pas de chance car Léon, lui, bénéficiera plus tard d’une loi qui exempte de service militaire ceux qui ont eu un frère mort pour la France. Ce n’est pas le cas du pauvre Arthur. Pour autant, je ne le trouve pas dans les registres matricules. Il me faudra encore chercher un peu...

Il vient tenter sa chance à Paris. Son métier est « garçon d’office », c’est-à-dire qu’il fait la plonge dans un café ou un restaurant parisien. Il habite au 12 bd Montmartre. C’est peut-être là aussi qu’il travaille. Cela se situe sur les Grands Boulevards, au niveau du passage Jouffroy qui a été percé en 1836 et qui passe à travers l’hôtel Terrasse Jouffroy devenu par la suite hôtel Ronceray en 1868. C’est un hôtel chic où résida Rossini. Est-ce là que travaille Arthur ?

A moins qu’il officie plutôt dans l’un des cafés populaires qui attirent une foule canaille ou dans un des trois fameux restaurants populaires, le Dîner de Paris, le Dîner du Rocher et le Dîner Jouffroy. Ces gargotes proposent des menus facétieux : « Potage Gribouille, requin aux concombres, filet de baleine aux vieux parapluies, tête de gorille à la Croquemitaine ou civet de chats de Perse »... J’imagine plutôt Arthur dans ces lieux à la mode, un peu louches.
Marie-Jeanne, sa belle-mère, qui vivait à Charenton avant son mariage, lui avait peut-être donné quelques conseils : elle était cuisinière chez des particuliers, mais elle connaissait peut-être ce quartier de Paris.
Mais brutalement tous ses rêves s'évanouissent.
Ce jeune homme aurait sans doute aimé le Musée Grévin qui s’ouvrira en 1882, juste là où il habite, mais il ne le verra jamais. Car, hélas, il n’y aura pas beaucoup d’années à rechercher pour retracer sa biographie.

En effet, le 23 avril 1880, à 4h du matin, il décède à l’Hôpital Saint Antoine à Paris. Selon le registre des décès de l’hôpital Saint-Antoine du 16 février au 10 juin 1880, que le Service des Archives de l’AP-HP conserve sous la cote SAINTANTOINE 3Q2/73, il est mort de la variole. Il n’a alors que 28 ans, il est célibataire.


Les pompes funèbres se chargent de son convoi pour 135,60F. Je ne sais pas encore où il a été enterré. Pauvre Arthur.




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