I comme Inconnu (de père)


Quand on fait des recherches généalogiques, on tombe parfois sur un enfant abandonné comme le pauvre petit Frimat dont j'ai parlé à la lettre F. 

Mais on découvre aussi des enfants nés "de père inconnu". Ce qui bloque aussi les recherches. 

Mais surtout, c'est l'occasion de se demander à quelle situation personnelle sont confrontées les "filles-mères" comme on disait autrefois, et leurs "bâtards". Ces mots injurieux laissent entendre des fautes, une absence de moralité, des écarts de conduite... Parfois on voit qu'au mariage de cette jeune femme, l'enfant est finalement reconnu par un père (mais est-il le géniteur ?). En tout cas, les apparences rentrent dans l'ordre. 

D'autres fois, et c'est ce que je voudrais raconter aujourd'hui, on tombe sur des "nids" de pères inconnus, envolés, disparus, volatilisés. L'histoire que je vais esquisser part d'éléments factuels, mais donne bien envie de combler les trous par l'imagination.

Nous sommes à Cléry Saint-André et à Mareau-aux-prés, non loin de Meung-sur-Loire, dans le Loiret. Et voilà deux jeunes filles qui portent les mêmes prénoms : Marie Anne Maignan, l'aînée, née en 1795 et Marie Anne Poitrineau, de trois ans sa cadette, née en 1798. Elles sont toutes deux journalières et s'emploient comme elles peuvent, en particulier chez les vignerons du coin. 

Marie Anne Maignan accouche en 1819 d'un enfant naturel qu'elle prénomme Jean Baptiste Stanislas Théodore. C'est la sage-femme qui vient le déclarer en mairie mais il y a avec elle un témoin, Jean-Baptiste Lemaire, journalier lui aussi, âgé de 34 ans. La similitude de prénom pourrait laisser penser qu'il s'agit peut-être du père ? La famille maternelle est en tout cas absente.

Marie Anne Poitrineau accouche elle aussi en 1823, d'un enfant naturel, une fille cette fois, qui est prénommée Marie Anne comme elle. C'est sa tante qui vient la déclarer et la jeune femme a accouché chez ses parents. Elle bénéficie donc d'une certaine solidarité familiale autour d'elle. Deux vignerons, sans doute amis de la famille, puisque son père est vigneron, sont témoins. 

Vous voyez où je veux en venir : le 17 avril 1844, Jean Baptiste Stanislas épouse Marie Anne. Deux "bâtards" ensemble, ça ne pose pas de problèmes familiaux. 

Mais il y a eu entre temps la naissance d'autres enfants naturels. Marie Anne Maignan a deux autres enfants sans père : Toussaint né en novembre 1821, puis Alphonse né en décembre 1829 (mon ancêtre). Si Jean Baptiste Lemaire était peut-être le père du premier, il ne figure plus dans les actes des enfants suivants. Et Alphonse naît à l'hôpital. Pas de trace de soutien familial. 

En décembre 1831, Marie Anne Poitrineau, elle aussi, accouche à nouveau d'un enfant naturel, Elise Eugénie. Encore une fille. Cette fois, c'est la sage-femme qui déclare l'enfant, avec deux témoins vignerons. 

Les liens sont forts entre tous ces enfants sans père, ils sont 5 en tout. 

Pour resserrer encore davantage les liens, un fils de Jean Baptiste et Marie Anne, Noël Maignan, épousera en 1887 une fille d'Elise Eugénie, Angèle. Ils sont cousins. Ils ont sans doute obtenu une dispense, je n'ai pas cherché.



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Je pense à ces deux jeunes femmes, journalières dans un pays de vigne. Qu'ont-elles choisi de leur destin ? de leurs rencontres ? Ont-elles été abusées ? Ou au contraire ont-elles vécu assez librement ? Impossible de le savoir. En tout cas, elles ont vaillamment élevés leurs marmots, leur ont permis d'avoir des vies établies : Jean Baptiste est tisserand, Toussaint, chauffeur, Alphonse vigneron. Marie Anne et Elise sont lingères. Ils se sont tous mariés et ont eu des enfants. Des vies rangées, en somme. Mais sans doute des traumatismes familiaux qui ont couvé comme un feu sous la cendre.

Joséphine Marie Maignan, mon arrière-grand-mère, est une des filles d'Alphonse. A ma connaissance, elle est la seule à avoir atteint l'âge adulte sur une fratrie de 6 enfants (y compris son jumeau mort à la naissance). Et en 1909, veuve, elle même devenue mère de 7 enfants, elle a été déchue de ses droits maternels. Une vie en miettes que j'essaie de reconstituer patiemment, et peut-être même de comprendre un peu. 


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